Vers la libération de certaines données de l’IGN : un rêve ou une réalité proche ? (2ème partie)
La libération de quelles données de l’IGN ?
Nous n’appelons pas à une libération de la totalité des données de l’IGN sans distinction. Nous n’envisageons que la libération partielle des données de l’IGN dont le choix pourrait porter sur plusieurs paramètres :
Les données ainsi libérées ne correspondraient jamais à la dernière version commerciale disponible : cela garantirait à l’IGN de conserver dans son catalogue de produits marchands et non-libres, des données de plus grande fraîcheur, justifiant ainsi qu’il soit proposé une licence commerciale pour la dernière version de ces produits.
Seules des données de moyenne et petite échelle seraient libérées : cela permettrait à l’IGN de conserver dans son catalogue de produits marchands des données de grande échelle, celles-ci représentant actuellement la grande majorité des marchés de l’IGN (publics et professionnels) et de ses perspectives de croissance de son chiffre d’affaires
Les données libérées par l’IGN n’impliqueraient aucune obligation pour l’IGN de reverser les modifications et mises à jour que l’institut assure pour ses produits commerciaux concernés par cette libération, lui permettant ainsi de toujours conserver un niveau de qualité supérieur à celui des produits libérés, qui en ferait un véritable avantage et donc un argument de vente de ces produits
Le versement des données libérées par l’IGN à un projet de données géographiques libres n’impliquerait aucun transfert de propriété sur ces données et ne permettrait aucune vente de ces données en tant que telles par les utilisateurs. Bien évidemment, l’IGN conserverait la totalité des droits moraux, qui sont réputés inaliénables et incessibles dans le droit français.
Partant des principes évoqués ci-dessus, les données concernées par le projet de libération d’une partie des donnes de l’IGN correspondraient aux produits vecteur et raster suivants à petite et moyenne échelles :
– Produit vecteur BD CARTO®
– Produit vecteur BD CARTHAGE®
– Produit vecteur Contours…ILOTS®
– Produit vecteur ROUTE 500®
– Produit vecteur ROUTE 120®
– Produit vecteur GEOFLA®
– Produit vecteur RGC®
– Produit image SCAN 50®
– Produit image SCAN 100®
– Produit image SCAN Départemental®
– Produit image SCAN Régional®
– Produit image SCAN 1000®
– Produit image SCAN OACI
– BD ALTI®[1]
Autrement dit, ne seraient pas concernées par cette libération les produits actuels de l’IGN :
– les données du RGE®
– les BD topographiques et foncières
– les produits issus d’images aériennes
– le produit image SCAN 25
– le produit FranceRaster®, co-édité par l’IGN et Cartosphère
– le produit spécifique BATI-3D®
– le produit spécifique Litto3D®
Comme nous l’avons déjà évoqué ci-dessus, l’IGN a déjà mis en téléchargement gratuit certaines de ses données comme par exemple la BD ALTI® 500m et BD ALTI® 1000m, le SCAN1000®les contours des départements et des régions du GEOFLA®, le RGC®, ou encore la BD CARTHAGE®, réalisée à partir de la couche hydrographique de la BD CARTO® enrichie par le MEDD et les Agences de l’Eau. Mais ces données restent couvertes par des droits d’auteur et des copyrights empêchant pour l’instant de pouvoir les utiliser de façon libre.
L’IGN pourrait-il survivre à la libération de ses données ?
L’idée d’un reversement partiel des données de l’IGN et en respectant les paramètres proposés ci-dessus, n’est pas une idée aussi saugrenue qu’il y paraît de prime abord.
Dans son introduction, le Directeur Général de l’IGN précise que l’année 2007 a vu le chiffre d’affaires de l’institut atteindre « un chiffre d’affaires supérieur à nos attentes, dépassant 66 millions d’euros, soit une progression de plus de 10 % par rapport à 2006. Cette progression est nourrie par la croissance toujours soutenue du e-commerce dont le volume augmente de plus de 40 % et qui commence à être alimenté par les web-services tel le service «Carte à la carte». Pour sa part, la gamme des navigateurs Evadeo génère un montant de ventes supérieur à 7 millions d’euros, presque équivalent à celui des cartes de randonnée« .
Mais en parcourant le rapport d’activité 2007 de l’IGN , on constate très nettement que la vente des produits numériques a été et devrait continuer à être essentiellement le fait des produits à grande échelle (RGE®, BD TOPO®, BP PARCELLAIRE®, Produit cartographique SCAN25®, EVADEO®) et non pas des produits à petite et moyenne échelle.
Avec la disponibilité de l’API Géoportail depuis quelques mois, de plus en plus de sites et d’utilisateurs vont pouvoir accéder en visualisation aux données de l’IGN et de ses partenaires, sans être obligés d’acquérir des licences commerciales.
Le projet de reversement de certaines données de l’IGN sous licence libre pourrait aussi avoir un intérêt fort pour l’institut. Ainsi, on peut imaginer que pour bon nombre de clients actuels ou futurs, la politique commerciale de l’IGN, souvent critiquée, parfois un peu trop rapidement, gagnerait en visibilité et en acceptabilité. Les coûts apparaîtraient peut-être davantage supportables pour les produits restant payants et pour ceux d’une fraîcheur supérieur à celles qui seraient versées dans le domaine libre.
En outre, une telle politique garantirait à l’IGN un gain considérable en image dans la communauté géomatique française et au-delà.
Mais pour l’institut, ce projet lui permettrait de suivre les usages faits par les développeurs et contributeurs à partir de ces données libérées. Par exemple, certains utilisateurs pourraient contribuer à enrichir ou mettre à jour les données de l’IGN sur des secteurs où l’institut aurait prévu des mises à jour à une fréquence considérée comme trop faible par certains utilisateurs. Les données produites par les utilisateurs des données libérées pourraient ainsi être croisées et s’enrichir mutuellement, selon des principes méthodologiques restant encore à définir. Bien des problèmes méthodologiques demeurent à résoudre. Des choix devront être faits sur les modalités d’intégration et d’usage des données de l’IGN ainsi libérées. Et nous ne prétendons pas avoir, dans cet article, réglé tous les problèmes techniques ou autres. Cela ne peut que le fait d’échanges, en multipliant les points de vue et en confrontant différentes hypothèses.
Au vu de nombreux éléments, il ne semble donc pas illusoire de penser que l’IGN puisse survivre au projet de libération d’une partie de ses données, moyennant un certain nombre de choix sur l’application des missions de l’institut et sur ses stratégies commerciales.
Quels principes et quelle licence pour la libération des données de l’IGN ?
Une licence de diffusion de données comme la licence CreativeCommons[2] permet de garantir la paternité et le partage à l’identique des données versées à des projets qui sont déjà sous ce type de licence.
Un article récent paru sur le blog d’Ed Parson[3], « Geospatial Technologist » chez Google, et relayé par le site de Baliz-Media[4], vient d’évoquer l’expérience australienne qui a commencé à utiliser les licences CreativeCommons pour la diffusion de données géographiques. Ainsi, le Bureau de l’Information Spatiale du Queensland (Queensland’s Spatial Information Office), estime que 85% des données publiques analysées pourraient être diffusées sous l’une des licences CreativeCommons sans difficulté majeure. Certes comparaison n’est pas raison. Mais cela montre que l’idée d’utiliser les licences CreativeCommons pour la diffusion de données géographiques est non seulement possible mais que de nouvelles initiatives pourraient prochainement voir le jour.
Pour revenir au sujet du présent article, nous proposons l’hypothèse de mettre en œuvre le projet de libération de certaines données de l’IGN autour de la licence CreativeCommons BY-SA-3.0.
Cela signifierait pour les données que celles-ci pourraient :
– être partagées (copiées, distribuées et transmises par quiconque)
– être transformées, adaptées, corrigées, complétées
Les conditions qui s’imposeraient seraient les suivantes :
– respect de la paternité : mentionner en permanence la paternité sur les données telle qu’indiquée par l’IGN mais mais sans que cela suggère que l’IGN approuve l’utilisateur ou son utilisation de ses données.
– partage à l’identique : si les données sont modifiées, transformées ou adaptées, l’utilisateur doit redistribuer le résultat de son travail uniquement sous la même licence ou sous une licence similaire ou compatible.
Les données versées par l’IGN pourraient ainsi servir aux usages suivants par les futurs utilisateurs :
– le complètement et la modification des données de l’IGN pour les enrichir, les corriger et les mettre à jour selon les besoins (dans le détail, peut-être faudrait-il préciser les types de modifications rendues possibles et celles qui ne le seraient pas[5]),
– les données de l’IGN pourraient aussi être utilisées pour des opérations de numérisation mais avec une obligation de citation des sources et il serait impossible pour les utilisateurs de revendiquer une quelconque validation des données issues de la numérisation à partir des données de l’IGN.
La licence Creative Commons proposée ici n’exclurait pas tout usage commercial. Ainsi il s’agit de permettre à des prestataires de services de pouvoir vendre leurs prestations qui incluraient l’usage des données libérées par l’IGN ce qui est déjà le cas avec les licences commerciales de l’institut qui prévoit pour cela que les prestataires signent un acte d’engagement dont un exemplaire est remis à l’institut. En revanche, il faut considérer la possibilité que les données de l’IGN ne puissent pas être vendues en tant que telles et en leur état initial. La licence CreativeCommons le permet-elle vraiment?
En outre, le type de licence CreativeCommons proposé ici autoriserait des modifications sur les données de l’IGN ainsi libérées mais à la condition que les données dites dérivées soient proposées au public avec les mêmes libertés (sous les mêmes options Creative Commons) que les données initiales de l’IGN.
L’hypothèse du versement de certaines des données de l’IGN au projet OpenStreetMap
Aujourd’hui, nous suggérons et soumettons au débat l’hypothèse du versement de certaines des données de l’IGN mentionnées ci-dessus auprès du projet OpenStreetMap.
Le projet OpenStreetMap qui a été évoqué ci-dessous et souvent mentionné sur Georezo[6] à plusieurs reprises ainsi que sur Baliz-Media[7] est un projet déjà connu d’une partie de la communauté géomatique mondiale, et de plus en plus de la communauté française (qui dispose de pages en français pour les non-anglophones[8]).
Rappelons qu’OpenStreetMap[9] produit et met à disposition sans restriction et à quiconque en a besoin, des données géographiques libres, telles que des cartes routières ou cyclables. Ce projet est né du constat « que la plupart des cartes que vous pensez libres, ont des restrictions légales ou techniques qui nous empêchent de les utiliser de façon créative, productive ou innovante ». Les cartes sont disponibles sous les termes de la licence Creative Commons[10] Attribution-ShareAlike 2.0 (autrement dit Paternité-Partage à l’identique 2.0)
Ce projet, qui est aujourd’hui l’un des plus avancés pour des données cartographiques libres de droit, en termes de procédures, d’encadrement communautaire et de volumes des contributions, gagne tous les jours en qualité et en crédibilité[11]. A ce jour, ce projet doit encore s’enrichir et atteindre un niveau d’homogénéité sur tous les territoires qu’il ne peut présenter pour l’instant. Mais Rome ne s’est pas fait en un jour…pas plus que l’IGN d’ailleurs.
Des discussions ont été récemment amorcées sur certains sites comme les pages consacrées à l’activité d’OpenStreetMap en France[12] et son évolution ainsi que dans la liste Francophone de l’OSGEO-fr[13].
Il nous sera probablement rétorqué d’emblée que le projet OpenStreetMap ne souhaite pas devenir dépendant d’une quelconque organisation publique ou privée et qu’il ne veut compter que sur la communauté des contributeurs volontaires.
On pourra aussi nous opposer le fait que les données OpenStreetMap sont le résultat de relevés issus d’appareils GPS et que leur précision géométrique est supérieure à celle des données de l’IGN évoquées ci-dessus.
Il sera aussi possible de nous opposer le fait que le projet OpenStreetMap produit des données en mode vecteur et que parmi les données de l’IGN évoquées ci-dessus, de nombreuses sont en format raster.
Mais pourquoi ne pas considérer les données de l’IGN comme une base utilisable déjà dans les zones où les données manquent pour l’instant dans le projet OpenStreetMap ? Et partant de là, pourquoi ne pas proposer au projet OpenStreetMap d’élargir ses contenus à des données raster et pas seulement vecteur ?
Nous proposons de plus que les données de l’IGN soient incluses dans une seule et même couche, pouvant être affichée ou désaffichée dans son intégralité par le choix dans la légende dans l’espace de visualisation cartographique du site OpenStreetMap et permettant ainsi aux futurs utilisateurs de les identifier de façon claire par rapport à d’autres données ou encore d’en limiter les échelles d’affichage.
Croiser les points de vue et engager le débat pour un peu plus de « raison démocratique »
Proposer l’idée d’une libération de certaines données géographiques de l’IGN n’est pas le caprice d’un enfant quarantenaire qui aurait été trop nourri d’égalitarisme ou du principe du « tout m’est dû », deux des « troubles obsessionnels du comportement démocratique »[14].
Dans un domaine ou les débats s’enlisent trop souvent dans des choix technologiques ou de contraintes administrativo-financières, il s’agit de contribuer à une réflexion commune, à croiser les points de vue, à engager le débat au sein de la communauté géomatique mais en l’élargissant à d’autres communautés (afin d’éviter les discours et raisonnements trop communautaires), pour amener à un peu plus de « raison démocratique » dans le champ de l’information publique produite par la puissance publique pour la puissance publique, c’est-à-dire in fine pour le peuple lui-même et pas pour la seule techno-structure, fût-elle publique[15].
Sur un plan plus général, dans un rapport récent[16] déposé à l’Assemblée Nationale concernant le projet de loi de finances 2009, on peut lire que « Les demandes de crédits pour 2009 du programme n° 159 Information géographique et cartographique sont en hausse de 9,9 % à 75 millions d’euros, contre 68 millions d’euros en 2008. L’essentiel des crédits correspond à la subvention pour charges de service public versée à l’IGN. Cette subvention est en hausse par rapport à 2008, de manière à reconstituer le fonds de roulement de l’IGN entamé en 2007« . On peut aussi lire dans ce rapport qu' »Un nouveau contrat de performance de l’IGN est en cours d’élaboration [qui devrait s’organiser autour de] deux axes considérés comme stratégiques, [dont] le recentrage de l’IGN sur ses missions de service public ».
A l’heure de la redéfinition de ce nouveau contrat de performances, il paraît pour le moins légitime pour les citoyens que nous sommes, d’engager un débat susceptible de suggérer à nos élus des idées de réflexion et des propositions à propos de certaines des missions de l’IGN pour la collectivité nationale, et pas seulement pour la communauté géomatique. D’aucuns nous rétorqueront que les missions de l’IGN ne doivent être définies qu’entre les instances dirigeantes de cet institut et les responsables politiques et administratifs concernés. En serions-nous donc encore au temps où les missions de service public demeurent définies en dehors de tout débat public ?…
Nous souhaitons que ces lignes suscitent réactions, commentaires, irrités ou pas, et provenant de tous bords, afin que le débat se poursuive, ici ou ailleurs, de préférence en écho avec d’autres débats qui ont lieu dans le milieu de la géomatique ou dans d’autres sphères connexes.
Bien des points restent en suspens et de nombreuses questions ne manqueront pas d’apparaître. Des critiques fortes ou impossibilités de principe sur tel ou tel point de cet article seront peut-être aussitôt formulées. Tant mieux. Cela sera peut-être l’amorce d’un débat.
Nous pourrions proposer à ce que ce débat voit le jour dans des cadres formels existants comme l’AFIGEO[17] ou le SPDG[18]. Mais nous avons souhaité, au moins dans un premier temps, que celui-ci prenne la forme d’échanges par le biais d’Internet, en n’étant placé sous l’égide d’aucun organisation ni d’aucune « tribu » organisée. Cela n’empêche en rien les organisations mentionnées ci-dessus, le cas échéant, de se faire le relais de ce débat s’il a lieu. Nous souhaiterions que celui-ci soit multiformes, alimenté par des points de vue divers, ceux des professionnels mais aussi du grand public et de l’IGN lui-même bien sûr.
[1] Il faut souligner que la BD ALTI® évolue pas ou très peu. Ce produit doit être considéré différemment des autres mentionnés ici.
[4] http://media.baliz-geospatial.com/fr/blogue/creative-commons-une-piste-pour-faciliter-la-diffusion-de-l-ig
[5] On peut considérer que certaines données pourront évoluer plus facilement que d’autres pour des raisons techniques (les données vecteur pouvant être modifiées plus « facilement » que les données raster) ou méthodologiques (exemple : modifier des fichiers raster de l’IGN parmi ceux évoqués ici )
[7]http://media.baliz-geospatial.com/fr/article/openstreetmap-l-information-geographique-issue-de-la-collaboration-de-masse
[11] A côté d’OpenStreetMap, citons aussi le projet FreeThePostcode[11], encore modeste, qui vise à recueillir et à diffuser sous licence libre des données de géocodage à l’adresse relevées par GPS.
[14] Cynthia Fleury (2005) « Les pathologies de la démocratie ». Fayard, Paris.
[15] John Kenneth Galbraith (1967) « Le Nouvel État industriel ». Gallimard, Paris.
[16] Rapport à la Présidence de l’Assemblée nationale du 16 octobre 2008, fait au nom de la Commission des Finances, de l’Economie Générale et du Plan sur le projet de loi de finances pour 2009 (n° 1127), Annexe n° 16. http://www.assemblee-nationale.fr/13/budget/plf2009/b1198-a16.asp
[17] Association Française pour l’Information Géographique (http://www.afigeo.asso.fr/)
[18] Syndicat Professionnel de la Géomatique (http://www.spdg-geomatique.org)
1 Rétrolien(s)
Désolé, les commentaires pour cet articles sont clos pour le moment.