Eric, concepteur de Géoclip
10ans | 3 juillet 2009Eric Mauvière s’est lancé dans la cartographie statistique interactive il y a 10 ans (1999). Nous nous sommes connus à la même époque, quand le Ministère de la Santé, à Paris, recherchait une solution de traitement et de valorisation des données concernant les hôpitaux : http://www.parhtage.sante.fr
EMC3, c’est aujourd’hui une équipe de trois personnes qui travaillent dans la campagne toulousaine.
Pour commencer, quelques questions personnelles, sur ton parcours professionnel ; j’ai appris que tu étais un copain de promo d’Eric Lanzi, PDG de GeoConcept ?
Oui, oui, on a pas mal joué au baby-foot dans le temps. On s’est connus après le bac et puis on a passé quelques années ensemble.
Donc après le bac, tu as fait quoi ?
J’ai fait Polytechnique, puis je me suis orienté vers l’Insee, c’est-à-dire vers les études économiques. Ça m’attirait d’aller en province, au contact du terrain, de contribuer à la compréhension de la vie des gens, des phénomènes économiques et sociaux. Je me suis bien plu à l’Insee. J’ai travaillé à Limoges et à Toulouse, en tant que responsable d’études régionales. Déjà à l’époque, j’ai pris beaucoup de plaisir à la cartographie, la conception de publications, la PAO, les technologies liées à l’impression et la mise en page.
Ce n’est donc pas avant l’Insee que tu as découvert la cartographie ?
C’est vraiment à l’Insee. Avant je méprisais un peu l’informatique, je m’y suis mis tardivement, en commençant à bosser. J’ai démarré avec les outils d’interrogation de grosses bases de données ; c’était aussi l’époque où la cartographie arrivait à l’Insee, à la fin des années 80, avec des logiciels un peu lourds (SAS – Statistical Analysis System). C’était une petite révolution, notamment dans les services régionaux, parce qu’il y avait matière à faire des cartographies détaillées – déjà par commune à l’époque ! – et à produire des études bien plus parlantes qu’auparavant. Ça a été une période fébrile et féconde de ce point de vue là. D’autant que l’on n’était pas si nombreux à s’intéresser à ça. A l’Insee, la finalité est de publier, il faut maîtriser la chaîne qui va de la cartographie à la publication en quadrichromie. C’est de là qu’est né mon goût pour une cartographie que l’on appelle maintenant vectorielle, en tout cas de haute résolution, avec des habillages soignés, un commentaire, une typographie propre. J’y ai appris, via des formations, des rudiments de sémiologie. Cela me paraissait vraiment important pour mieux nous faire comprendre. A l’Insee, on vise tout de même le grand public.
On a l’impression aujourd’hui, même sans connaître très bien l’Insee, que la cartographie a bien pris dans cet institut…
La culture cartographique s’est d’abord ancrée dans les directions régionales de l’Insee, sur le terrain. Cette culture est encore très vivace aujourd’hui, avec un type de cartes marqué par une tradition française de l’analyse thématique. Les gens de l’Insee se sont formés à l’IGN, et l’IGN suivait de près les enseignements de Bertin, par exemple. On est dans une conception à la fois rigoureuse et orthodoxe de l’analyse thématique à la française.
Avant de me lancer dans une aventure personnelle, j’ai transité deux ans par le milieu de l’hospitalisation. C’est un sas qui m’a permis d’envisager de créer une activité. J’ai été amené à fournir des prestations aux ARH (Agences Régionales de l’Hospitalisation), qui m’ont paru viables et finançables si je les proposais tout seul. Dans les premières années, ma clientèle s’est forgée dans le secteur de la santé (ministère de la Santé, ARH, etc.). J’étais d’abord consultant en statistique et en systèmes d’information, je n’avais pas en tête de faire exclusivement du logiciel cartographique. Cela s’est imposé plus tard.
L’histoire d’EMC3, c’était d’abord une activité de professionnel libéral, autonome, faisant à la fois des enquêtes, des rapports, des études, des développements « sur mesure ». Puisqu’EMC3 a aussi 10 ans, on peut faire de l’histoire. La deuxième phase d’EMC3, ça a été d’abord d’être à deux, puis à trois. Notre production s’est concentrée sur un logiciel, Géoclip, que l’on propose avec une gamme de services (observatoires sur le Web, cartographiques et statistiques).
Et en dehors de ton travail, de la cartographie, de la stat, as-tu un violon d’Ingres ?
Quand j’ai du temps, j’essaie de faire du parapente. Je m’y suis remis il y a deux ans, les Pyrénées sont toutes proches ! Et puis ces derniers temps, c’est le cinéma. Je regarde beaucoup de films des années 1945-1950. Je suis quand même un intello : quand j’ai du temps libre, j’essaie de lire ou de regarder des films.
J’aime aussi manger et boire. Et là, c’est bien l’un des avantages de travailler avec sa propre boite : on reçoit ou on visite des gens, et on crée des occasions de se faire de bons petits repas. Je me surprends enfin à trouver du plaisir dans certains moments familiaux, avec femme et/ou enfants, mais je me surveille.
Est-ce que tu te définis comme un éditeur ?
Oui, je crois que je le suis, même si je ne me définis pas comme ça. Mais on vend du logiciel, que l’on fait nous-mêmes. Et on propose également du service, beaucoup. On ne vend jamais ou quasiment jamais le logiciel tout seul : on vend la mise en valeur d’un système d’information sur le Web. Il y a des prestations d’accompagnement, qui peuvent aller jusqu’à mener des petites enquêtes dans un organisme, pour aider les gens à accoucher d’un projet, ou bien définir des indicateurs, définir les publics visés, etc.
Tu te définis comme un éditeur d’une solution Web, pas forcément SIG comme ESRI, MapInfo ?
Sans doute pas, en effet. L’étiquette SIG, on ne se reconnaît pas complètement dedans. L’étiquette de statisticien, elle est sans doute également réductrice. Notre métier, c’est de faire parler les données, en s’appuyant sur les potentialités du Web. C’est le prolongement d’une vocation qui m’a d’abord conduit à l’Insee, c’est-à-dire partager le savoir autour de l’information localisée. Aujourd’hui, l’information statistique, économique ou sociale, elle est forcément géographique. Il y a 25 ans, on descendait rarement sous le niveau du département et aujourd’hui, toute information est localisable finement dans l’espace, donc peut être représentée sous forme de carte, mais pas uniquement. De nos jours, on organise aussi tout en séries temporelles. Mais dès lors que l’on s’intéresse à une information publique statistique précise et détaillée, on la projette sur une carte. Et on essaie de la faire parler. Notre logique n’est pas celle de l’empilement de couches d’informations, mais de faire vivre un jeu de données au travers d’une carte.
Tu as un regard particulier, critique, sur les outils SIG, leurs évolutions, de plus en plus complexes ? Je crois que tu utilises MapInfo…
J’ai appris la carto avec SAS et MapInfo, j’ai un attachement pour ces produits-là, mais je m’en sers finalement assez peu. J’ai l’impression que ces outils sont trop complexes à prendre en mains pour des gens qui ne sont pas spécialisés. Certains outils sont devenus des repoussoirs, qui mettent deux minutes à se charger ; enfin, je ne citerai pas de nom… Et si on réussit, nous, à trouver du travail, c’est précisément parce qu’il y a une attente pour des produits, Web en particulier, plus fluides, plus rapides, plus simples à manier.
Comme d’autres boites qui sont nées à la même époque, ce qui a rendu possible notre activité, c’est le Web, et plus précisément Flash en ce qui nous concerne, et MySQL.
Avant de commencer cette activité, j’étais dans une ARH. Le Web était déjà là et on me demandait de publier des cartes sur Internet ; j’avais regardé ce qui existait et c’était des architectures lourdes, pour lesquelles il fallait quasiment un serveur dédié. C’était des solutions très coûteuses et en dehors du budget d’une ARH. Il fallait donc faire la même chose avec une base de données et un navigateur intelligent. L’arrivée de Flash, puis de MySQL qui est le prototype de la base de données gratuite et puissante, a rendu tout ça possible, sans être obligé de passer par des usines à gaz. Il y a eu un saut technologique qui a contribué à faire passer EMC3 d’une activité de consultant individuel à une activité plus éditrice, plus industrielle. Sans trop rentrer dans les détails, c’est la version 6 de Flash, c’est-à-dire en 2003-2004, qui a permis d’automatiser la production de cartographies interactives. MySQL-PHP sont devenus populaires à la même époque. Pour nous, cela a été un tournant, marqué par une intense fébrilité intellectuelle, beaucoup de travail de création. C’est vrai que SVG prenait aussi son essor à la même époque, et d’autres boites ont fait ce pari technologique.
Et si tu n’es pas très proche des SIG, comment tu te situes par rapport à la géomatique ? Est-ce un mot que tu utilises ?
Ce n’est pas un gros mot ! Mais j’ai du mal à me dire géomaticien, je n’ai pas suivi de cursus dans ce domaine. Je me distingue aussi de ce que certains appellent les géo-informaticiens. Le webmapping, ça ne peut pas être uniquement une affaire d’informaticiens. Quand c’est le cas, c’est forcément moins efficace que quand c’est mis en œuvre par des gens qui ne sont pas fascinés par la technologie, mais par le résultat, par ce qui est produit auprès des gens.
Je ne vais pas dire que la technique ne me passionne pas, ce serait un mensonge. Mais pour moi ce n’est pas le but ultime d’utiliser la dernière libraire open source, ni même la dernière version de Flash. Ce n’est pas ce qui m’intéresse. C’est plutôt qu’il y ait des gens, qui par leur formation ne sont pas forcément à l’aise avec une carte ou un tableau, et qui vont quand même jouer avec, en ligne.
As-tu un avis sur les évolutions du secteur, de ton activité d’éditeur ?
Je crois qu’il y a eu un tournant technologique et sémiologique majeur avec Google Maps, et au-delà de ça avec une entreprise de couverture systématique de toute la planète. On a là un modèle de cartographie d’inventaire qui s’impose et qui se diffuse. Ce n’est pas du tout une cartographie statistique, mais une cartographie de jeu vidéo, puisqu’on peut se promener comme un oiseau, on peut tout voir à tout moment, avec beaucoup de détails. Ce n’est pas une cartographie de synthèse, on ne cherche pas à réduire des phénomènes complexes. On cherche à photographier la planète, et de ce point de vue là, la 3D ne peut qu’exciter les appétits. C’est la réalité virtuelle qui intéresse les services d’urbanisme dans les villes. Pour un statisticien, la 3D n’a de sens que si l’on dispose d’informations que l’on peut relier à une altitude, des étages ou des hauteurs de bâtiment.
Plus généralement, je pense que ce modèle de cartographie à la Google appauvrit les représentations statistiques. De ce que l’on voit, le réflexe est d’abord à l’empilement des pictogrammes.
C’est vrai que la représentation par pictogrammes, c’est de l’information désagrégée, individuelle, détaillée, et dans certains cas, les punaises s’empilent et l’on a du mal à en retirer un enseignement global.
On voit aussi se propager un modèle de cartographie très américain : les cartes ne sont jamais projetées, on est en longitude-latitude partout, on est dans le monde du GPS. Mais le côté positif, c’est que les gens deviennent plus familiers avec la cartographie. Ca installe aussi un certain modèle ergonomique, par exemple la façon de faire des zooms avec la grande tirette, à laquelle je n’arrive pas à me faire, mais qui est très à la mode.
On vit en ce moment le triomphe du raster par rapport au vectoriel, ce qui est amusant quand on sait à quel point la représentation pré-pixelisée est antédiluvienne.
Je pense toutefois que l’avenir de la géomatique est du côté de systèmes d’aide à la décision et à la compréhension, à la fois intuitifs et riches en information et axes d’analyse. Il s’agit de développer un modèle un peu différent de celui de l’analyse multi-dimensionnelle anglo-saxonne, pour laquelle tous les axes sont de même intérêt, et où un graphique, un tableau ou une carte ne sont que des façons équivalentes de représenter l’information. Pour nous, la carte conserve un rôle éminent, à la fois en début et en bout de chaîne. Elle permet à la fois de définir un cadre d’analyse, de poser des contraintes et de visualiser le résultat d’un questionnement. Et la prise en compte du temps est toujours ce qui opposera les photographes pulsionnels, toujours en quête du pixel le plus fin, aux analystes-prospectivistes, épris de synthèse et de sens.
Cela fait combien d’années que tu connais GeoRezo et que tu y passes, de temps en temps ?
C’est peut-être par toi que je l’ai connu. Il y a peu de temps, je recherchais des interventions autour de SVG et de Flash qui remontaient à 2001, donc plutôt au début du GeoRezo. J’ai apprécié qu’il y ait des débats et je suis peut-être un peu frustré, de ce point de vue là, dans ce qu’est devenu GeoRezo.
C’est devenu trop technique, ou essentiellement technique ?
Oui, mais c’est lié aussi au nombre de forums. Peut-être qu’il y a trop de forums.
C’est vrai que quand j’ai connu GeoRezo, c’était d’abord un lieu de débats intéressants, bitmap vs vectoriel. Et au-delà, il y avait des discussions sur les gros logiciels éditeurs, et puis les solutions qui venaient de l’open source. MapServer contre ESRI, il y avait de quoi s’empoigner, échanger des expériences.
GeoRezo est une ressource technique indispensable : si j’ai une question pointue, je fouille déjà dans les archives, je suis très souvent satisfait.
Mais peut-être que s’il y a moins de débats, c’est parce qu’il y a un prosélytisme GeoRezo, notamment parce que GeoRezo est noyauté par des thuriféraires de l’open source, des normes, des standards autoproclamés, qui parfois réagissent de façon véhémente si on les chatouille. Et forcément, ça amoindrit l’envie de discuter. De ma part, il y a un peu de regret.
C’est vrai que l’on se lâche davantage sur nos forums privés, aujourd’hui, et que l’on est beaucoup plus prudents sur les parties publiques du site.
Moi-même je ne me lâcherai plus comme j’aurais pu le faire à une époque. GeoRezo n’est plus fait pour ça, il faut plutôt aller du côté des blogs.
Je crois que c’est le signe que le club s’est radicalement élargi et peut-être justement que l’on a moins l’impression de faire partie d’un club. C’est la rançon de la gloire !
GeoRezo est un superbe outil, fruit d’une équipe dont on sait finalement peu de choses, de son mode de fonctionnement. On ne mesure pas toujours le temps que vous passez pour animer et modérer les forums.
J’espère que vous resterez soudés, en dépit de vos itinéraires personnels, que vous saurez garder cet esprit de partage et de dévouement. A vrai dire, puisque vous avez dépassé les 10 ans, je n’en doute pas !
Eric, merci !!
Propos recueillis par Bruno
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