Notes de lecture de « la Pachamama en base de données » de Pierre Gautreau
Les notes de lecture Pachamama en pdf
Son sous-titre est : Géographie politique de l’information environnementale contemporaine
J’ai lu et annoté, crayon en main, seulement cinq livres. Celui-ci parlant de nous en parlant de l’Amérique du sud, peut-être ces notes pourront-elles vous donner envie de le lire également. De par mon parcours, elles sont orientées et de parti-pris, les notes de bas de page n’engagent donc que moi.
L’ouvrage étant universitaire, l’ensemble des références y sont citées. Pour les connaître, achetez- le ;-).
L’introduction expose l’idée que « la Terre est lourde des multiples filets dans lesquels les systèmes d’information développés par les sociétés humaines pour la mesurer, la posséder et l’exploiter l’ont saisie ». Elle oppose les mots d’ordre à la mode, partage, interopérabilité, alors que, bien évidemment, l’information reste affaire de pouvoirs en lutte1. Dans le contexte sud-américain étudié, Uruguay, Brésil, Bolivie et Argentine, le pouvoir de et sur l’information environnementale est peut-être plus visible qu’en Europe2.
L’information environnementale est constituée « des données structurées dans un but de communication entre acteurs différents ». « Sans communication, pas d’information ».
Un présupposé majeur est que l’information n’est pas uniquement une ressource pour l’action, mais un actant socio-technique, c’est-à-dire induisant des modifications des rapports sociaux à la fois à l’intérieur de la chaîne de traitement de l’information comme à l’extérieur.
Première partie « la vie des données environnementales sous l’anthropocène : quatre contes sud-américains ».
Pierre Gautreau est un chercheur de terrain. Ses analyses viennent de là-bas. Les extraits les plus frappants sont ci-dessous, sans les sources, l’argumentation et toute la profondeur que l’on peut attendre d’une telle mise en perspective d’une dizaine d’année d’études.
« L’importance de l’information environnementale témoigne du fait que les sociétés entretiennent une relation à la nature de plus en plus fondée sur l’objectivation de ses caractéristiques, au détriment de valeurs esthétiques, sensibles ou religieuses ».
L’étude de la dépendance bolivienne aux financements étrangers résume quatre caractéristiques : la privatisation de l’information ; les discontinuités territoriale et temporelle de l’information ; la dépendance technique par rapport aux acteurs étrangers3.
Celle sur le Brésil montre plusieurs facettes, la volonté de souveraineté brésilienne pour la production et l’analyse des données, notamment sa mise en avant dans une communication de grand pays émergent responsable.
« Le printemps de l’information environnementale » accompagne, en Amérique du sud, l’extension des droits démocratiques. La partie « le droit à l’information environnementale au concret : les plateformes open data » rappelle les dispositifs socio-techniques complexes à l’oeuvre et leurs trois piliers : un réseau d’acteurs publics/privés acceptant de partager leurs données ; la mise en place de protocoles interinstitutionnels et informatiques d’échanges et de mise en accès libre de ces données ; le développement de plateformes numériques de catalogage, de consultation et de téléchargement des données référencées ».
Pour qu’une plateforme dure, l’enjeu est d’intéresser les contributeurs et de maintenir les conditions qui rendent attractive la participation à cette entreprise collective4.
Le chapitre « l’agrobusiness dans les filets de l’information environnementale : vingt ans de cache-cache » décortique la mise en place d’une supervision satellitaire du respect des normes environnementales, associée à un « marché national de compensation écologique », qui est présentée comme un succès…
…pour aussitôt interroger : « l’information environnementale au service de ceux qu’elle prétend réguler ? ». En effet, le système étant « largement coconstruit par les Etats et les lobbys masque un système de régularisation à moindre coûts des exploitations de la région » « comme un maquillage vert institutionnel »5.
Plus, sa « principale fonction est pour l’État de mettre en conformité son secteur agricole exportateur vis-à-vis du marché international ». La communication, partout, tout le temps, en quelque sorte.
Deuxième partie, « information environnementale et pouvoir : un bilan des (mé)connaissances »
Elle délaisse l’Amérique du sud pour présenter « les difficultés et les perspectives » de ceux qui « enquêtent sur le rôle politique de l’information environnementale ».
Pierre Gautreau rappelle que « l’objectif de ce type d’information est de fournir des représentations qui permettent de prendre des décisions politiques, (…) de rendre visible l’environnement depuis les lieux de pouvoir, de façon exhaustive et d’établir des facteurs de changements environnementaux »6.
Il note en passant, sans penser, sans doute, aux associations françaises de naturalistes, que la dimension volontaire de cette contribution citoyenne « ne doit pas cacher le renforcement des données publiques en pariant sur une production massive et à bas coût grâce au individus-capteurs ».
Il développe longuement le rôle « assurantiel » de cette information environnementale destinée à réduire les incertitudes des investisseurs, notamment en réduisant « les asymétries d’information sur les risques d’investissement et les distorsions de concurrence qu’elles entraînaient ». Où l’étude d’impact comme protection de l’investisseur contre les plaintes des riverains7.
Parallèlement, l’effort de « rationalisation et de technicisation (Foucault) » (…) « alimente l’idée qu’un pilotage de la biodiversité est possible et souhaitable ». « Les débats actuels sur l’entrée dans l’Anthropocène renforcent cette tendance en effectuant un double déplacement, d’échelle, du local au global, et éthique, puisqu’une dimension morale, responsabilisante et culpabilisatrice s’ajoute au projet de prise en charge de la nature de l’État moderne ».
On sait depuis longtemps8 que la carte de l’administration devient le passage obligé – et unique – pour penser le risque. On sait peut-être moins que « les dispositifs contemporains de mutualisation et numérisation des données de faune et de flore contribuent à un recul de la diversité des savoirs vernaculaires sur la nature ». « ne s’approvisionnant qu’en données extrêmement simples et normés de présence d’espèces », le Système d’information sur la nature et les paysage (SINP) français comme l’Agence européenne pour l’environnement « les privilégient comme gage d’objectivité plutôt que les savoirs moins structurés des acteurs locaux ». Ce processus induit une professionnalisation des associations naturalistes qui se spécialisent et se formatent en interne pour répondre aux contrats publics avec, dans ce cas, une marginalisation des savoirs originaux et localisés9 ».
Six questions encore mal balisées à l’intersection information-pouvoir :
– La nature des liens entre volume informationnel, (in)actions et incertitude
– L’inaction environnementale liée au manque d’information ?
– Quel sens accorder à l’absence d’information environnementale sur un sujet/un terrain ?
– Quid d’un « déluge informationnel » organisé et source fondamentale d’incertitude ?10
– Quel rapport entre existence d’informations sur l’état de la planète et mobilisations sociales et politiques
– L’information, fourrier de la néolibéralisation de la nature ? (par désencastrement de l’environnement par rapport à l’ensemble complexe auquel il appartient)
– Les échelles « portées » par l’information environnementale (ignorance des contraintes scalaires des bases de données, comprendre : le mélange de données sans tenir compte de leur résolution)
– Souveraineté informationnelle (lis-toi et le ciel t’aidera…), ou, a contrario, n’être lu (décrit) que par les autres conduit à se voir imposer des modes de voir, de cadrage des problèmes, avant de suggérer des idées précises sur ce qu’il faut faire
– Les enjeux méthodologiques de la notion de souveraineté informationnelle (les financeurs ont une nationalité)
– Justice informationnelle, un sujet encore indéterminé.
« La question du pouvoir dans les études informationnelles » aborde la « gouvernance informationnelle11 ». « L’information n’est pas que « ressource » dans les rapports de pouvoir, mais bien un facteur de mutation des groupes sociaux qu’elle mettait en relation, et à ce titre un véritable actant social12 ».
– La nature des liens entre volume informationnel, (in)actions et incertitude
– L’inaction environnementale liée au manque d’information ?
– Quel sens accorder à l’absence d’information environnementale sur un sujet/un terrain ? ;
– Quid d’un « déluge informationnel » organisé et source fondamentale d’incertitude ? ;
– Quel rapport entre existence d’informations sur l’état de la planète et mobilisations sociales et politiques
– L’information, fourrier de la néolibéralisation de la nature ? (par désencastrement de l’environnement par rapport à l’ensemble complexe auquel il appartient) ;
– Les échelles « portées » par l’information environnementale (ignorance des contraintes scalaires des bases de données, comprendre : le mélange de données sans tenir compte de leur résolution)
– Souveraineté informationnelle (lis-toi et le ciel t’aidera…), ou, a contrario, n’être lu (décrit) que par les autres conduit à se voir imposer des modes de voir, de cadrage des problèmes, avant de suggérer des idées précises sur ce qu’il faut faire
– Les enjeux méthodologiques de la notion de souveraineté informationnelle (les financeurs ont une nationalité)
– Justice informationnelle, un sujet encore indéterminé.
Ce chapitre expose diverses motivations possibles, positionnement médiatique, repositionnement politique d’acteurs étatiques, et les catégorise en quatre grandes motivations :
– administratives : le contrôle interne par l’ouverture, où l’obligation de partage vise à améliorer la coordination de l’Etat13 ; l’anticipation de l’évolution des règles du jeu, puisque les plateformes sont de futures prescriptrices de standards de données et de leur circulation.
– étatistes : développer des « attracteurs sémantiques » publics14
– géopolitiques : figurer au concert informationnel des nations15 ; favoriser la lisibilisation pour autrui par l’open data (comprendre : pour les investisseurs).
– marchandes : partager l’information pour monétiser le vivant
Ce chapitre conclu que les résistances au partage restent fortes, mais sont désormais honteuses, cachées, tant sont accordées de vertus à « l’ouverture ». Le partage est une preuve du rôle d’actant de l’information dans le champ environnemental : une fois érigé en valeur morale et juridique, il devient difficile de s’y soustraire, même en l’absence d’obligation.
J’ai pris peu de notes sur les trois chapitres suivants, soit qu’ils soient plus étroitement centrés sur les cas sud-américains, soient qu’ils reviennent sur certains points déjà évoqués, et ces notes sont plutôt des « notes pour moi » qui n’ont pas leur place ici. Voici leurs titres :
La souveraineté informationnelle environnementale a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?
La nature modelée par l’information ?
La justice informationnelle, chantier ouvert
Dans lequel, pourtant, se situe ce qui aurait pu être une conclusion, et j’espère que l’auteur ne m’en voudra pas de m’arrêter avant son propre chapitre de conclusif qui n’en est pas trop éloigné : « les débats dans l’espace public se cantonne généralement à réclamer un accès plus important à des informations détenues par l’administration, tandis que les pratiques militantes visent à contourner cette rétention par la production d’information de substitution. A mon sens, la justice informationnelle a devant elle un immense champ de progression dans une autre direction, qui viserait à modifier en profondeur la nature de cette information, et non pas uniquement son accessibilité ».
Hé, OSM, qu’en dis-tu ?
1 Comme on l’a toujours vu pour l’open data, toute autre analyse étant naïve, hein
2 Peut-être est-ce là ce qui m’a fait sortir le crayon…
3 Lointaine ressemblance avec les appels à projets de la Direction du numérique de l’État (DINUM) lors du plan de relance, dont on peut douter de la pérennité des projets comme des financements ?
4 On notera que cette tâche d’auto-conservation, inhérente à toute structure sociale, est devenue visible lors de l’émergence des plateformes régionales d’open data aux côtés de celles d’IG, conduisant à l’adaptation des seconde.
5 Comme un genre de verdissement de la politique agricole commune?
6 Enlevez « environnement », et vous avez la DATAR, ou, sinon, les nombreux schémas qui parcourent les atlas numériques de nos administrations nationales, régionales et départementales.
7 On rappellera qu’en France aussi, comme dit dans une des notes de bas de page, « le destin des études d’impact est d’être oubliées dans un disque dur pour la bonne raison que l’administration n’a pas le temps d’en vérifier le contenu ».
8 Martinais (E.), 2007, « La cartographie au service de l’action publique. L’exemple de la gestion des risques industriels », EspacesTemps.net
9 …ce qui contribue également à l’atomisation de ces associations face aux grands groupes de pression que sont la Fédération nationale des chasseurs et la FNSEA, me disait un ami ornithologue
10 ce qui renvoie, à mon sens, au rôle de l’information environnementale au sein de l’Etat : levier prenant appui sur l’opinion ou science?
11 …et m’a fait réaliser à quel point le ministère de l’environnement avait régressé
12 L’Etalab dirigé par Henri Verdier, et nous qui publiions les données environnementales vers 2000 à la demande de nos hiérarchies, portions une politique de transformation de l’action publique par la donnée et, à l’Environnement, de changement d’un rapport de force défavorable. Aujourd’hui, l’administration ministérielle des données est un acte technique voire de communication. En devenant du carburant pour la croissance et non plus un facteur de mutation, elle s’est déchargée de sa puissance.
13 C’est exactement l’objectif de la directive INSPIRE, qui ne vise que le partage entre les autorités publiques
14 On pense à data.gouv.fr modèle 2011, « attracteur sémantique » au sens de l’auteur qui visait à « l’organisation des flux d’information ».
15 Par exemple en communiquant sur la place du pays dans les classements internationaux de l’open data